Voir plus bas la traduction de cette critique, publiée le 19 mars 2017, dans le supplément culturel « Los Libros » de Artes y Letras, El Mercurio
Crítica publicada en Revista los Libros de Artes y Letras de El Mercurio
HISTOIRE DE LA TORTURE
“Une réussite
indubitable de l’auteure de Piedras Blancas est la forme encadrée qu’elle a
donné au texte pour qu’il remplisse ses intentions narratives…”
Quarante
années déjà, mais le coup d’État militaire de 1973 se maintient vivant dans les
pages de notre littérature. Il en ressort un point qui pourrait très bien être
considéré comme la ligne de division entre deux périodes du roman chilien
contemporain: avant et après le coup. Mais en tant que thème pour roman, la
dictature militaire a occupé plusieurs fonctions narratives. C’est le référent
qui octroie l’ancrage historique et donne un signifiant au récit de beaucoup de
textes ; c’est l’atmosphère exigée par la nature de la fiction développée dans
d’autres romans. Ce peut aussi être le motif subordonné indispensable pour
soutenir le conflit central de l’argument ou, dans une minorité de cas, le
motif principal de l’histoire. Quelle que soit la hiérarchie que l’objet
dictature occupe dans la structure du récit, il est généralement abordé
seulement du point de vue des victimes.
L’intérêt
de Maria London (María Isabel Mordojovich) pour la présence du mal que le coup
d’État a installé dans notre société, est à l’origine de son roman Le livre de Carmen, publié au Chili en
2008 (un an après sa publication en France), dans lequel le thème est travaillé
à partir de la relation personnelle qui s’établit entre un personnage pervers
et sa victime. Mais son roman Piedras Blancas –récemment publié avec un titre
qui évoque Tejas Verdes, le récit-témoignage de Hernán Valdés- poursuit des
intentions plus ambitieuses : donner une amplitude majeure au thème et
l’observer d’un point de vue différent. Comme le dit Maria London dans sa “Note
de l’auteure” qui ferme le livre, son roman veut décrire l’horreur du monde de
la torture du point de vue des tortionnaires et répondre à certaines questions
: comment la torture s’est-elle installée dans notre société et que sont
devenus tant les victimes que leurs tortionnaires après la fin du gouvernement
autoritaire imposé par le coup d’État militaire de 1973.
Une
réussite indubitable de l’auteure de Piedras Blancas est la forme encadrée
qu’elle a donnée au texte pour qu’il remplisse ses intentions narratives.
L’histoire de la torture se passe en deux temps distanciés par les années
passées entre le coup d’État de 1973 et le moment où tant les victimes que les
tortionnaires racontent ce qu’il s’est passé à cette époque. Dans le premier
temps, la voix narrative observe les modes de penser et les comportements de
personnages responsables de l’apparition du terrifiant monde de la torture : le
major Davila, qui l’impose comme moyen chirurgical pour extirper le cancer du
communisme de la société chilienne, un groupe de jeunes sous-lieutenants et
lieutenant sélectionnés pour la mettre en pratique et trois sinistres
capitaines qui décident des diverses formes de torture que doivent subir les
opposants au régime. S’ajoutent à eux des personnages comme Olegario Poblete
Aranda, Blanca, Alvaro et Floreal Torres. Le premier représente les victimes
que la torture convertit en tortionnaires et les autres celles qui ne
trahissent pas leurs compagnons ni n’abandonnent leurs idéaux bien qu’ils
soient soumis aux mêmes tortures et souffrances qu’Olegario.
Dans
le deuxième temps, la voix narrative permet que militaires, victimes et leurs
familles, parlent directement au lecteur. Mais la vérité profonde que le texte
veut transmettre, le message qui veut être communiqué à travers ces moyens
artistiques, surgit du contraste entre les situations bouleversantes et terrifiantes
de l’histoire de la torture et le discours cynique de Ricardo, un homme
d’affaires dont les déclarations commencent et terminent le livre.
Bien
que les images produites dans Piedras Blancas n’atteignent pas la profondeur
psychologique recherchée par l’auteure et restent à hauteur de stéréotypes
–tant humains que linguistiques- l’intention de Maria London d’éviter de nous
familiariser avec un moment de notre histoire mérite l’attention des lecteurs.
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