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jeudi 12 mars 2009

Extrait de "Tisseuse de mémoires de la Patagonie aux Balkans"



Entre Puerto Natales et le parc du Paine, se trouve « Tres Pasos », le site où, enfant, j’allais en vacances avec ma famille et des familles fréquentant la mienne. Je savais, par une amie française qui avait effectué un voyage deux ans auparavant, que la fameuse maison d’hôtes où nous étions hébergés autrefois à « Tres Pasos » avait été détruite par un incendie qui s’était produit au moment où, précisément, mon amie se trouvait dans le secteur. Malgré tout, je rêvais de visiter ce bout de terre. Antonio m’avait dit que les cars de touristes ne s’arrêtaient à « Tres Pasos » qu’à la demande des passagers. L’incendie avait détruit la maison mais pas le monument érigé à la mémoire de Gabriela Mistral, qui vécut un temps à « Tres Pasos ». Pour cette raison, les personnes qui souhaitent y faire une halte sont nombreuses. Ce n’était pas le monument que je voulais regarder. Je me suis dirigée tout droit vers la cour où se trouvait une balançoire et où plane encore le souvenir de mes sœurs donnant le biberon à leurs agneaux blancs. Claudette est descendue avec moi et m’observe. Après avoir cueilli une fleur de lupin et ramassé quelques cailloux, je l’ai suivie dans le car où les autres passagers nous attendaient. Mon visage était mouillé par la pluie et par une douce tristesse. A travers la vitre, mon regard se promenait par les champs. Je vis de nombreux agneaux, mais aucun ne ressemblait au petit agneau noir qui avait été le mien et que je n’avais jamais réussi à caresser.
La pluie battante et les nuages nous ont empêché d’admirer les cornes des Torres, mais pas de nous approcher des guanacos, ni d’admirer les flamants roses, ni d’observer l’incroyable variété d’oiseaux de la faune locale. Au lieu de regarder au loin, il suffit de s’appliquer à regarder avec plus d’attention la terre, les plantes, ce qui est petit. Même si nous n’avons pas réussi à discerner les nuances de bleu, nous étions en admiration devant la magnificence des lieux.
Le lendemain, à huit heures du matin, à l’embarcadère de Puerto Natales, nous sommes montés à bord du yacht « Alberto de Agostini » et sommes partis par le golfe d’Ultima Esperanza. Puerto Natales se trouve dans une région de fjords où la Cordillère des Andes, qui tend à s’enfoncer, et l’Océan Pacifique, qui peu à peu la recouvre, donnent l’impression de vouloir se rejoindre. Le golfe d’Ultima Esperanza est un bras de mer qui vient du Pacifique. La vue, à cette heure-ci du matin, était d’une réelle splendeur. Le ciel, d’un mélange de tons rose et bleu, et l’extraordinaire paysage alentour, se reflétaient dans leurs nuances les plus délicates sur la surface des eaux qui constituait un gigantesque miroir naturel. Les passagers ont commencé l’expédition en restant muets d’admiration. Le capitaine a annoncé que le temps pouvait changer d’une minute à l’autre, que la navigation pouvait devenir dangereuse et que, dans ce cas, nous serions obligés de faire demi-tour. Par bonheur, nous n’avons rencontré aucun problème, bien au contraire. L’expédition fut magnifique et le soleil nous a accompagnés de manière intermittente, mais suffisante pour faire briller les cascades et peindre en bleu les glaciers et les mers. Le soir nous sommes rentrés à Punta Arenas.
Vendredi, nous avions prévu de prendre le bac qui se rend à Porvenir. Nous voulions visiter son Musée et avoir le plaisir de traverser le Détroit — où s’était produit un siècle plus tôt le naufrage d’Elias — pour fouler de nos pieds, ne serait-ce que pendant deux heures, le sol de la grande île mythique de la Terre de Feu.

Le nom de la Terre de Feu vient de « terres des feux », dénomination que les anciens navigants utilisaient en référence aux feux étranges qu’ils apercevaient aux alentours, la nuit venue, dans cette région d’îles. Défiant le climat et la logique, les aborigènes gardaient des feux toujours allumés. Dans la grande île, ils étaient allumés par les Selk’nam, habillés de leurs peaux de guanaco. Dans les canaux, c’était les Indiens des tribus navigantes des Yagan ou Yáman et des Alakaluf qui, vivant presque nus, la peau enduite de graisse pour supporter le froid, entretenaient en permanence ces feux à bord de leurs canoës. Les primitifs Selk’nam, connus aussi sous le nom de Onas, peuplaient la grande île depuis l’antiquité. Ils l’appelaient Karukinka, j’ignore ce que cela signifie. En 1880, avant l’arrivée des premiers éleveurs de moutons, environ deux milles Selk’nam vivaient dans l’ancienne Karukinka ; en 1910, ils n’étaient plus que cent et, il y a bien longtemps qu’il n’en reste plus un seul ! Trente années de bestialité et d’horreur suffirent aux hommes dit « civilisés » pour faire disparaître un peuple qui avait survécu durant des milliers d’années aux conditions les plus extrêmes de la planète. Une livre sterling, c’était le prix que des colons payaient la paire d’oreilles d’Indien Ona ! Et ce fut ainsi qu’ils conquirent des hectares, élevèrent des moutons et firent fortune.

En Patagonie, comme à la Pampa du Tamarugal au nord du Chili, le colonisateur, venu de loin, a occupé une place qui n’était pas la sienne et a aimé une terre que d’autres avaient aimée avant lui, en ignorant trop souvent la douleur de ceux qu’il avait dépossédés. Au musée de Porvenir, comme au musée de Salésiens de Punta Arenas, sont organisées des expositions extrêmement intéressantes sur les aborigènes de la zone. J’ai manqué de temps pour les regarder avec l’attention qu’elles méritent. Parmi toutes les choses que j’ai vues, il en est une que je n’oublierai jamais. Au musée des Salésiens, on peut voir une photo, prise lors de l’Exposition universelle de Paris de 1889, qui montre un groupe de neuf Indiens Onas. Ils sont présentés comme des anthropophages. A côté de la photo, un article raconte l’histoire d’un missionnaire Salésien, José-Marie Beauvoir, qui, par une rare coïncidence se trouva cette année-là en vacances à Paris. Lorsqu’il visita l’exposition, il reconnut, horrifié, derrière les barreaux de la cage, les Indiens fuégiens qui avaient conquis son cœur par leur douce mansuétude et dont il avait même appris à parler la langue. La bestialité se trouvait hors de la cage, pas à l’intérieur ; elle se trouvait en plein centre de Paris et pas seulement dans le cœur de quelques hommes sans scrupules à l’autre bout de la terre.

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